Visite de l’œuvre de Karl Marx, Le Capital (Partie IV)

Visite de l’œuvre de Karl Marx, Le Capital (Partie IV)

Lahoussine laanait

Visite de l’œuvre de Karl Marx, Le Capital (Tome I, II et III), relative à la critique de l’économie politique ; à la lumière des travaux :
1- Law of Chaos :A Probabilistic Approach to Political Economy : Emmanuel Farjoun and Moshe Machover en 1983, édité par Verso Editions et réédité en 2020
2- Les méandres de la transformation des valeurs en prix de production, L’ Harmattan 2013 et Essai sur la refondation de l’expression monétaire de la valeur-travail : La valeur du travail humain, L’Harmattan 2021 écrits par Vincent Van Laure Bambeke.

Dans cette partie nous allons faire une introduction qui nous permettra d’entamer l’approche probabiliste de l’économie marxiste, comme proposée par Farjoun et Machover in Law of Chaos de 1983 et 2020. Cette nouvelle approche n’est pas dictée par le zèle de diversifier les approches et formulations mathématiques de l’économie, mais elle émane du besoin d’élucider le flou qui entache le problème de la transformation de Marx durant plus d’un siècle.
Avant de détailler cette nouvelle approche basée sur la « valeur- travail » de Marx, nous allons résumer les approches des économistes académiques relatives au problème de la transformation de Marx des valeurs en prix de production ». On rappelle qu’on ne s’intéresse pas ici à la frange des « marginalistes » dominante dans les universités et instances financières capitalistes et qui raflent tous les prix Nobel en économie- chaque fois, c’est pour avoir découvert le remède à crises du capitalisme. Ces crises qui n’en finissent de se condenser dans le temps – et qui prétendent que les prix sont réglés par l’ « Utilité » subjective dite marginale et non par la « valeur-travail » objective.
Dans la partie III nous avons établi le système d’équations linéaires de cette transformation de Marx, pour une économie nationale :

fi + x1.Cmp(i) + x2.Cma(i) + x3. Ms(i) + R. (Fi + x1.Cmp(i) + x2.Cma(i) + x3.Ms(i)) = xi.W(i) , i= 1, …, N (1)
avec: fi = ai1. f(S) , Cmp(i)= ai2. Cmp(S) , Cma(i)= ai3. Cma (S), Ms(i)= ai4. Ms(S) , i= 1, …, N (1)
Nous rappelons que aij, i= 1, …, N , et j= 1, 2 , 3 , 4 constituent les paramètres de répartition du capital social Ks = (F(S) , Cmp(S), cma(S), Ms(S)) entre les N branches de l’économie.
A ces équations il faudrait ajouter des deux identités de Marx qui sont des équations de contraintes. Je rappelle que j’estime que la deuxième identité est déjà épuisée lorsqu’on définit le profit. Mais, comme les économistes qui se sont intéressés à la transformation font apparaître, comme Marx avait eux, la plus-value en « monnaie » dans leurs tableaux numériques, ils se doivent de tenir compte, dans leurs équations, de la deuxième contrainte(deuxième identité de Marx) qui stipule que la somme des plus-value est égale à la somme des profits. On se retrouve donc avec un système surdéterminé. D’ une part, les N inconnues, les variables de transformation, x1, …, xN, d’autre part les N équations des prix des N branches et les 2 contraintes de Marx. Les paramètres de répartition du capital et le taux de profit sont ajustés de telle sorte à satisfaire l’hypothèse de Marx : Le déplacement des capitaux entre les branches, c’est-à-dire les paramètres de répartition (aij) sont ajustés de telle sorteque les solutions x1, …xN obtenues correspondent à un même taux de profit pour chacune des branches de production.
Le seul chercheur à avoir respecté cette démarche, depuis 1907, c’est Vincent Van Laure Bambeke en 2013 (voir une ébauche de sa démarche de résolution à la fin de la Partie III).
Les omissions des économistes avant le travail de Bambeke:
1- Ils ont tous omis de tenir compte des 2 identités (contraintes de Marx). Ils se retrouvent donc avec N équations à N inconnues et un paramètre le taux de profit. Une fois qu’ils obtiennent un résultat non cohérent( car les hypothèses ne sont pas toutes respectées), ils reviennent sur les identités de Marx pour les vérifier et ils trouvent que l’une est fausse pour les uns ou bien c’est l’autre qui est fausse pour les autres et ou bien c’est toutes les deux qui sont fausses pour certains
2- Une catégorie considère que le capital fixe est nul. Cette catégorie ne viole pas seulement les hypothèses de Marx, mais elle quitte carrément le mode de production capitaliste. Ceci revient à poser fi =0 et F=0 dans les équations (1), on dit alors qu’on obtient un système homogène. L’une des solutions, c’est la production nulle. Mais, comme ces économistes, contrairement à Marx, sont payés pour travailler. Ils envisagent le cas où il y a une solution non nulle. Ils tombent donc sur une aberration, ils trouvent un taux de profit « mathématique » indépendant de la structure de l’économie. Mais comme cette démarche mathématique rend leur système d’équations sous-déterminés, c’est-à-dire(N-1) équations pour N inconnues et donc une infinité de solutions, c’est-à-dire qu’ils ne connaissent que les rapports des prix mais pas les prix. Cela ne les empêche pas à continuer et de critiquer Marx. Bien sûr toute la propagande bourgeoise fait le suivi et vante ces exploits « mathématiques » qui remettent en cause non pas la transformation de Marx en tant que telle (qui est juste un artifice qui stipule l’ « égalisation » des taux de profits ), mais tous les fondements du marxisme construits sur la « valeur-travail » et plus-value. Jusqu’à en arriver, à Ian Steedman, l’économiste métaphysicien qui parle de profit « positif » et de plus-value « négative ». Sans hésiter, dans son livre « Marx after Sraffa » de 1977, Steedman ose même ajouter « la valeur-travail de Marx entrave une compréhension matérialiste(sans rires) détaillée des économies capitalistes ». D’ailleurs, le mathématicien, Emmanuel Farjoun a remis en cause, en 1983, les développement « théoriques » de Steedman dans un article intitulé « The production of commodities by means of what ? »
3- L’autre catégorie prend en compte le capital fixe mais, laisse la répartition du capital social figée et trouve comme par hasard que les identités de Marx, qu’ils ne considèrent pas comme contraintes dans la résolution, non vérifiées. D’ailleurs la recherche d’un taux de profit uniforme indépendamment de la circulation des capitaux entre les branches sort du cadre des hypotèses de la transformation de Marx. Si Marx lui-même laissait le capital entre branches figé lors de la transformation et qu’il ne fait pas une « transformation totale », il est excusé car les outils mathématiques lui faisaient défaut, contrairement à ceux qui se sont interessés à la transformation, 50 ou 100 ans plus tard.

Aspect général comme prélude à l’approche probabiliste de l’économie.
Tout d’abord, il est necéssaire de différencier entre l’aspect probabiliste du marché financier des options et autres dérivés et l’approche probabiliste du marché de transactions de marchandises.
Sur le marché financier le détenteur d’une option à la liberté et le « choix » de vendre ou d’acheter durant un intervalle de temps donné, ceci fait de ce marché un système « érratique », c’est-à-dire sans aucune tendance de cohérence. Tandis que sur le marché des transactions de marchandises, le capitaliste n’a pas le choix, il est « obligé » d’échanger sa marchandise durant le laps de temps alloué, ce qui fait de ce marché un système « collectif ». La théorie des probabilités dans ce dernier cas cherche à déterminer les paramètres macroscopiques(du macro-état) (tel que le taux de profit) qui réglent l’évolution du système à partir d’une grande multitudes de transactions collectives « micro-états ».
Le recours à l’utilisation de la théorie des probabilités n’a jamais constitué une réfutation du déterminisme. Un jeu de pile ou face par exemple est déterministe. Si on connaissait, avec précision, l’angle sous lequel on jette une pièce (à deux faces), si on connaissait les vitesses (de translation et de rotation) qu’on lui a impulsées, et son angle d’inclinaison à un instant initial, on pourrait déterminer sa position en un temps ultérieur, en appliquant la mécanique de Newton. Vu que l’on manque de précisions sur ces conditions initiales tout ce que l’on sait, c’est que sous l’effet de la gravitation il va tomber sur l’une de ses faces et, c’est déjà important, on connait l’ensemble des évènements. Connaître cet ensemble, ce n’est pas du « hasard », c’est du déterminisme. Maintenant si l’on veut approfondir notre connaissance, on peut se demander qui parmi les évènements de pile, et de face celui qui est le plus prépondérant. La théorie des probabilités aide à faire ce travail, il suffit d’analyser la situation en vue de définir la loi de probabilité adéquate, sur l’espace probabilisé des évènements, en vue de raffiner notre connaissance.
Par exemple, si la pièce n’est pas biaisée, cette loi de probabilité c’est celle qui nous dit qu’on obtient pile avec probabilité ½ et face avec probabilité ½ . On n’est donc tenté de dire qu’ « en moyenne » pile sort une fois sur deux et face une fois sur deux. Si l’on pose une variable X qui vaut 1 pour pile comme résultat du jet et X= 0 pour face comme résultat du jet. Cette variable X est dite une « variable aléatoire » qui prend les valeurs 0 ou 1. Si au (i)-ème jet , on associe la variable Xi =1 si c’est pile ou Xi =0 si c’est face. Pour n jets, la somme Sn = X1 + X2 … + Xn, rend compte du résultat des n jets. Par exemple si on fait l’expérience en jetant 10 fois la pièce et qu’on trouve comme résultat 5 piles et 5 faces, la somme Sn/n = ½ , ceci confirme nôtre intuition sur la moyenne. On informe notre voisin, curieux lui aussi jette la même pièce 10 fois, il trouve 6 faces et 4 piles, le résultat, c’est Sn/n = 4/10 diffèrent de ½ . C’est-à-dire que le résultat qu’il obtenu a « dévié » de 1/10, par rapport à celui que nous avons estimé être la moyenne. Notre intuition de la « moyenne » sera bonne si on ajoute une autre hypothèse qui stipule que la théorie des probabilités nécessite de faire l’expérience un grand nombre de fois. C’est à dire un grand nombre d’évènements (jets) dans le cas du jeu de piles ou face avec une seule pièce ou un grand nombre de pièces que l’on jette une seule fois, sans quelles se touchent. Dans ce cas, Le théorème de la« Loi des Grands Nombre », confirme que lorsque n devient très grand, la probabilité P{Abs(sn/n -1/2) < e}, avec e positif aussi petit que l’on veut, est égale à 1.
Abs(.) dans la formule, C’est pour la valeur absolue qui est positive .
Nous avons dit plus haut que lorsqu’on jette une pièce un très grand nombre de fois, c’est comme si on jette un très grand nombre de pièces, sans qu’elles se touchent, en une fois. Un « très grand nombre de pièces n’enlève pas au système son déterminisme. On se souvient que la difficulté vient du fait qu’on ne connait pas avec précision les conditions initiales du mouvement de la pièce, malgré qu’elles dépendent d’un petitnombre de paramètres (petit nombre de degré de liberté).
Prenant maintenant un gaz de particules(très petites billes) dit parfait, subissant des chocs dits « élastiques », c’est à dire sans perte d’énergie. Si on prend une seule particule, contrairement à la pièce susmentionnée, on peut calculer son énergie, sa vitesse et déduire sa trajectoire pour des conditions initiales données. On peut aussi prendre deux particules qui s’entrechoquent et déterminer leurs trajectoires après leur choc. Le système est déterministe dans ce cas aussi, mais aussi lorsque un nombre très grand de particules rentrent en choc (un très grand nombre de degré de liberté). Dans ce dernier cas la formulation de systèmes d’équations devient non abordable. La théorie des probabilités, sur la base de la loi de probabilité de Maxwell-Boltzmann (en Mécanique Statistique), est utilisée dans ce cas non seulement pour affiner notre connaissance mais pour expliquer l’origine microscopique de la température d’un gaz et de sa pression- lorsqu’il est confiné dans un volume- et qui gouvernent l’état macroscopique (macro-state) du système déduits à partir des états(collectifs) (micro-states) des particules du gaz.
Mais pourquoi Farjoun et Machover ont-ils besoin d’avoir recours à la théorie des probabilités en économie ?
Voilà leur conception :
« L’erreur fondamentale de l’hypothèse de l’uniformité du taux de profit[entre les branches de l’économie], c’est qu’elle conceptualise les forces du marché qui conduisent l’économie vers un équilibre idéal, comme étant des forces endogènes.
Alors que les forces déséquilibrantes perturbant le système sont conceptualisées comme exogènes.
Mais, ces forces exogènes incluent sûrement aussi les forces du marché, les forces de la concurrence.
C’est une incohérence logique intenable.
Le problème avec ce type d’équilibre idéal supposé…
n’est pas qu’il soit purement idéal, mais qu’elle soit empêché de se produire par ces mêmes forces qui sont censées conduire l’économie à l’équilibre. »
Ils ajoutent :
« The distinction between macro-state and micro-state is surely valid ineconomics no less than in statistical mechanics. And if a model of a capitalist economy is to have any verisimilitude, it must possess a large number of degrees of freedom: a micro-description must include detailed data on
the simultaneous states of a great multitude of agents and the transactions between them.
The concept of economic equilibrium surely makes sense only as a macro concept, which is compatible – indeed presupposes – great mobility at the micro level.
Basic economic quantities such as the rate of profit of an enterprise and unit prices must be conceptualized as random variables, which at equilibrium have specific distributions rather than determinate values.
Such a representation is needed even if in the end one is only interestedin relations between the equilibrium mean values of these quantities”
Nous allons continuer le sujet dans la partie V